Pandémie, le jeu

Ven 31 décembre 2010

C'est à la faveur d'un Top 10 sur le site Topito, j'ai découvert une bonne idée de cadeau à offrir à mon père : le jeu de société Pandémie.

C'est tout autant le clin d'oeil à la profession de mon père (il est généraliste) que pour le principe général du jeu que cette idée a fait son chemin. Il m'arrive de plus en plus souvent de jouer à quelques jeux de société, qu'on m'offre ou que nous nous offrons au fil des Noëls et des anniversaires. Rugby à 2, Wanted, Saboteur et très récemment (genre le 25 décembre) Bohnanza. Si parfois ces jeux donnent l'occasion à certains joueurs de faire équipe et d'être momentanément alliés (ex: les hors-la-loi dans Wanted), il se trouve toujours un moment où les joueurs sont en opposition, et les alliances se font et se défont au fil des parties.

Bref, tous les jeux ont au moins un point en commun : ils mettent les joueurs en opposition, individuellement ou par groupes les uns contre les autres.

Pandémie est un jeu d'un autre genre. Tout d'abord, comme son nom l'indique, le principe du jeu est clair : on enfile son tailleur rose et on devient ministre de la Santé mondiale pour endiguer non pas une, ni deux, mais QUATRE pandémies. On dispose de plusieurs rôles qui permettent de réaliser des actions de prévention, de recherche ou d'élaborer les remèdes contre ces maladies pour sauver la Terre ; toi non plus tu peux jouer dans le film catastrophe avec Goldblum / Willis / Kouchner, quoi.

Ce qui change vraiment des autres jeux auxquels j'ai pu participer, c'est que tous les joueurs jouent ensemble contre le plateau. Au fur et à mesure des tours, c'est la pandémie qui progresse, c'est elle l'adversaire commun, c'est contre le temps qui tourne que les joueurs doivent se liguer et coopérer. C'est ensemble qu'ils gagnent et ensemble qu'ils perdent. Ils peuvent (et ils doivent) échanger, discuter, élaborer une stratégie pour le tour qui vient, préparer leurs déplacements ; leurs actions, se coordonner.

Tu pourrais penser : "mais... c'est comme un jeu de rôle, en fait". Oui et non. J'y reviendrai.

Lors des premières parties que nous avons jouées, nous avons trébuché, hésité et, évidemment, nous avons perdu. Et quelque chose est arrivé : naturellement, sans aucune animosité, sans aucune autre idée que celle de réfléchir objectivement aux échecs, nous avons débriefé. Et pourtant, parmi les joueurs, il y avait une ado de 12 ans, qui a très bien tenu son rôle et très bien analysé la situation. Aucun reproche à quiconque. On a froidement regardé la partie et on a essayé de corriger notre jeu. Et on repartit à l'assaut. Et on a perdu de nouveau. Différemment. Et on a re-débriefé, avec les mêmes intentions, et des idées nouvelles sur les stratégies à adopter.

Et on a gagné la troisième partie. Et c'est un sentiment nouveau : nous avions gagné. Et nous nous étions rendu compte que nous avions adopté la bonne stratégie et que le fruit de nos réflexions avait amélioré notre performance collective. Parce que nous avions compris que chaque rôle avait ses avantages, et qu'il fallait en tirer profit. Durant toute cette partie, nous avons systématiquement essayé de nous donner un objectif à court et à moyen terme pour coordonner au plus près nos actions et nos mouvements sur le plateau.

C'est là que l'analogie avec les jeux de rôle s'arrête, à mon avis. Dans un jeu de rôle, les dés pèsent souvent beaucoup plus que les stratégies des joueurs. Si ta stratégie est mauvaise, tu peux quand même passer au travers en ayant des dés bénis. Si tu as une super stratégie, si les jets de dés sont mauvais, tu vas échouer. On débriefe rarement une partie de JdR en disant : "oui, moi j'aurais plutôt lancé le sort à ce moment-là et on aurait dû attaquer plus tôt, etc.". Dans mes souvenirs, on reparlait assez peu des parties en terme d'équipe et de coordination. Durant le jeu, oui, mais pas a posteriori. On préférait incriminer les dés en cas d'échec (et les aduler en cas de succès, aussi).

C'est là que je pense que les jeux comme "Pandémie" sont largement plus éducatifs que les jeux de rôle "classiques" (qui ont leur intérêt, je ne les rejette pas, hein).

Je ne peux m'empêcher de faire le lien entre ce jeu collectif et mon travail quotidien, et les méthodologies agiles :

Le tour de jeu, c'est le sprint, la partie, c'est la release.

Chaque joueur est une partie d'une équipe polyvalente, dans laquelle chacun a des spécialités et pour autant capable d'endosser pour un moment le rôle d'un autre, en cas de coup dur.

Les événements qui arrivent au cours de la partie, ce sont les entraves, que nous connaissons si bien.

Et la partie est plus ou moins limitée dans le temps, puisque dès que la pioche est finie, la partie s'arrête et on a perdu.

Mais si on termine les objectifs (trouver les remèdes) à temps, la partie s'arrête, parce qu'on a gagné. On peut poursuivre d'autres buts, moins prioritaires, mais ce ne sont pas ceux qui font gagner. D'où l'intérêt de prioriser les tâches, en gardant un oeil sur les objectifs à court et moyen terme, sans aller à la chasse aux "bonus" qui ont un impact moindre sur le but final.

Et le débriefing (qui, il est vrai, ne fait pas partie de la règle, mais qui vient si facilement), c'est la rétrospective ou la revue de sprint ; elle permet de voir ce qui a marché ou pas, ce qu'il faudrait faire pour gagner la prochaine partie. Et surtout, elle montre les erreurs mais ne sert pas à trouver un responsable ou un maillon faible. Il est important de voir que c'est collectivement qu'on perd. Et collectivement qu'on gagne, aussi. C'est bien marqué dans les règles, et j'adore ce principe : dans la défaite, comme dans la victoire, tout le monde est concerné.

Je pourrais certainement continuer les analogies. Mais je n'ai pas envie de gâcher tes préparatifs de réveillon. Toujours est-il que je ne peux que te conseiller de jouer à ce jeu (en l'achetant, l'empruntant, ou en se rendant dans un bar à jeux - je sais que ce concept prend de mieux en mieux) que ton travail implique d'être en équipe ou pas. Il est certain qu'on apprend beaucoup en jouant un jeu de rôles. Et encore plus en essayant d'en tirer quelque chose par la parole, libérée et constructive.