Déchu

Sam 31 juillet 2010

Le président de la République, dans un discours hautement agressif a martelé une "déclaration de guerre" contre la délinquance, la violence urbaine, tutti frutti.

Soit. C'est loin d'être la dernière "déclaration de guerre" à laquelle il se livre ; apparemment, il les a toutes perdues, ces guerres, puisqu'il se sent obligé de remettre son uniforme kakhi à chaque événement violent sur notre territoire. Mais ce discours de Grenoble a une saveur particulière, cette fois-ci.

Qu'on ne se trompe pas : c'est toujours le même Sarkozy. Celui qui, depuis toujours (et plus encore pendant sa campagne de 2007), a tracé une ligne entre le bien et le mal, ses soutiens et ses ennemis, les "gentils" et les "méchants". J'ai plus particulièrement comme souvenir un discours du côté de Rennes où il disait que les marins-pêcheurs qui avaient incendié le Parlement de Bretagne étaient excusables, alors que les jeunes des cités qui brûlaient des bagnoles étaient des voyous. C'est comme le sketch des Inconnus sur les bons et les mauvais chasseurs. Les bons voyous et les mauvais voyous. Quelqu'un qui brûle un bâtiment historique peut être un gentil, pour peu qu'il puisse avancer une revendication quelconque à son geste. Mais je ferme la parenthèse.

Là, c'est sublime : Le président émet le souhait qu'on retire la nationalité française aux délinquants "tueurs-de-flic" s'ils sont d'origine étrangère.

Alors voilà le scénario : un gars s'amène sur le territoire français, obtient la nationalité française "normalement" (des vrais papiers et tout), s'arme, tire sur un gendarme ou un policier et la sanction tombe. Flic/police/prison et... déchéance de la nationalité française.

Un autre scénario ? un gars naît sur le territoire français, de parents français "de souche", s'arme, tire sur un gendarme ou un policier et la sanction tombe. Flic/police/prison et... ben rien.

Un autre scénario ? un gars naît sur le territoire belge (au hasard), de parents belges "de souche". Il émigre en France sans passer par la case "acquisition de la nationalité", s'arme, tire sur un gendarme ou un policier et la sanction tombe. Flic/police/prison et... expulsion ? extradition ? Je n'en suis pas sûr. Toujours est-il qu'il ne sera pas déchu de sa nationalité belge, je présume.

C'est là où je m'interroge de plus en plus. Et plus je creuse, moins je trouve la moindre justification philosophique ou politique à cette intention déchevante.

Le meurtre d'un policier est un crime. Oui. Qu'on le punisse. Le meurtre de n'importe qui est un crime, d'ailleurs. Et le fait que son auteur puisse être Français, Belge ou Étranger ne change absolument rien. Et pour autant que je sache, l'identité de la victime ne change rien également. Donner la mort, c'est la barbarie, que ce soit un enfant, un adulte civil, un journaliste, un homme ou une femme, ton voisin... Même si la victime est quelqu'un que tu hais au plus profond de ton être, un meurtre est ignoble.

Un policier est certes le représentant de la loi. On pourrait donc, à la rigueur, dire que son meurtre est une atteinte à la loi "plus ignoble". J'ai vraiment du mal avec ce principe, et même en l'admettant, je continue de me poser moult questions :

  • une fois l'étranger déchu de sa nationalité, s'il récidive, est-ce qu'on en fait un apatride ?
  • est-on vraiment sûr que la menace de la perte de la nationalité française soit effectivement une menace pour le délinquant ? Je gage que les délinquants sont faits pour délinquer, et que l'intitulé de leur nationalité importe peu au moment du crime, ou après.
  • on promet une double voire une triple sanction (prison, déchéance, expulsion) pour un criminel d'origine étrangère. Et un crime perpétré par un Français, est-il moins grave, puisqu'il ne risque "que" la prison ?
  • ça veut-il dire que les meurtriers français sont des "bons" meurtriers et les meurtriers d'origine étrangère des "mauvais" ? Que dire des meurtriers qui n'ont même pas la nationalité française ?
  • pourquoi ne pas menacer tous les criminels de l'indignité nationale, alors ? qu'est-ce qui nous empêche de déchoir de la nationalité un criminel "français de souche" ?
  • et d'ailleurs, si le criminel est un enfant ou petit enfant d'immigré, qu'il a acquis sa nationalité par le sol, va-t-on déchoir ses parents ou ses grands-parents (pour avoir mal éduqué le criminel) ? Ou la nationalité du coupable ? Alors qu'il est Français ? Jusqu'à quelle génération doit-on remonter pour savoir si on est "de souche" ou pas ?

Une fois l'étranger déchu de sa nationalité, qu'est-ce qui l'empêche de perpétrer de nouveau des crimes ? C'est ça qui fait office de "prévention" dans cette proposition ? C'est quoi le rapport ? On considère la nationalité française comme un dessert dont il faudrait priver les petits enfants pas sages ? La prison n'est pas suffisante ?

Non, non, non, vraiment. Je ne vois pas le rapport entre la conservation ou la perte d'une nationalité et un crime, qu'il soit horrible ou pas.

La ligne tracée une nouvelle fois par Sarkozy montre à quel point au lieu de rassembler, il divise les citoyens les uns contre les autres. À force de stigmatiser tantôt une catégorie, tantôt une autre, il attise la peur et l'ignorance. Pour la justice, il n'y a que deux sortes de gens : les innocents et les coupables. Pour Sarkozy, ses amis sont innocents, et les autres sont des coupables en puissance.